Rien de mieux que de goûter au contact avec la nature. Le genre de contact qu’elle a eu souvent, et qu’elle possédait encore. Elle ne pouvait plus s’en passer, désormais. Autant elle pouvait respirer de l’air pur et vivre à l’extérieur, autant elle se consumait à petits feux. Comment raisonner une personne comme Blue ? Il n’y a pas de moyens, c’est aussi simple que bonjour. Trop de choses la retenaient dans cet état, parfois second. Cela faisait bien trois jours qu’elle n’avait pas touché à de l’héroïne, elle semblait bien canaliser son manque, avec ses propres moyens. Ceux-ci étaient d’ailleurs loin d’être admirables. Qu’importe les façons, le résultat final devait être le même. N’allez pas lui apprendre la vie. Vous seriez surpris à en apprendre davantage. Pas sur elle cela va de soi, lorsqu’elle ouvrira sa bouche pour dire autre chose que des paroles sordides, appelez-moi, ou contactez un médecin au plus vite. Vous l’aurez comprit, c’est quelque chose de théoriquement impossible. Froide, en apparence inapprochable, Blue n’avait jamais pu être cernée jusque là. Qu’on soit proche ou pas, c’était la même chose…et elle ne s’en plaignait guère.

Posée sur l’un des imposants winchs qui parcouraient le pont, elle scrutait l’horizon. Non, elle ne s’était pas ruée sur la drogue comme une pauvre tarée. Blue prenait son temps. D’ailleurs, rien ne la pressait, puisqu’elle ne travaillait que dans la soirée. Y en a un qui devrait être content de ne pas la voir la journée…enfin, passons. Il ne savait en rien de ce qu’elle avait pu vivre et ce qu’elle vivait encore. De toute façon, rien ne pouvait porter indice à la conscience d’autrui. Sauf si on se trouvait ici, à moins de quelques mètres d’elle, et qu’on l’espionnait, volontairement ou non. Elle passe une main dans ses cheveux, et repose ses avant-bras sur ses cuisses, le dos légèrement courbé.

Loin de s’être sentie observée depuis tout à l’heure – elle n’est pas paranoïaque à ce point – une certaine surprise la gagna lorsqu’elle entendit les haubans se faire étreindre. Immédiatement, son visage s’inclina vers le nouveau venu. Quelle drôle de façon de rendre visite à une demoiselle. Il n’était pas du cru, c’était clair comme de l’eau de roche. S’il l’avait été, il aurait procédé autrement pour faire son « entrée ». Quant à « l’entrée en matière », elle était à sourire. Bien évidemment, ce sourire, elle ne l’esquissa pas. Pour quoi faire ? En guise de première réponse, elle se tut.

« Euh… Bonjour… »

Quelle plaie. Blue n’avait même pas pensé qu’il aurait pu l’avoir intercepté du regard tout à l’heure. Cela lui semblait tellement peu crédible…

« Excusez-moi de vous déranger, je me disais juste que vous auriez peut-être faim… »

Deux sandwichs se dressaient devant elle. Là, elle ne captait plus rien. Avait-elle réellement une tête de clocharde ? ou de dalleuse ? non, elle n’espérait vraiment pas que ce soit le cas. Certes, elle était pâlichonne, mais c’était de naissance. Même après avoir été exposée longuement aux rayons du soleil, elle n’avait pu bronzer, et avait conservé cette blancheur maladive. Qui ne plaisait pas toujours d’ailleurs. Ca renvoyait à une faiblesse précoce. Et pourtant cette faiblesse n’était que psychologique. Physiquement, elle assurait plutôt bien, avoir vécu dans la rue et défendre sa place au sein d’un groupe l’y avait aidée. Dans tous les cas, Blue avait mal prit cette offre. Calmement, mais sèchement, elle prit la parole.

« On oublie les bonnes manières à ce que je vois. »

Simple remarque qu’elle s’était prêtée à faire. Il n’y avait pas à dire, rentrer chez les gens de la sorte n’était pas très charmant. Bon, il se rattrapait déjà sur son aspect physique.

« Non merci. Gardez-les pour vous. »

Néanmoins, Blue restait polie. Du moment qu’on le restait avec elle, il n’y avait aucun souci à se faire. L’appareil photo qu’il portait autour du cou était loin d’être celui qu’on prenait pour ses vacances au soleil. Non, cet homme-là était un professionnel. L’écossaise n’était pas curieuse. Mais il fallait avouer que sa technique pour faire diversion était plutôt pas mal.

« Vous êtes photographe ? Je connais de très beaux coins. Il faut aller plus à l’Est. »

Blue préférait ne pas employer le jargon marin. Il en prendrait la tête.